La fille aux bourdons
Il se faisait tard. Le soleil entremêlait ses rayons avec le ciel. Ça avait été une belle journée. Mona prit
son sac, y rangea son livre et monta dans sa voiture. Le parc était encore éclairé. C'était son dernier jour de congé. Elle rentrait. Demain, il faudrait retourner à la mairie, se faire harceler
par la secrétaire générale, essuyer la mauvaise humeur du maire, vaquer à des tâches administratives et monotones. Demain …Mais pour le moment, il lui restait quelques heures où elle
pourrait profiter de son temps.
Tandis qu’elle conduisait, elle continuait de rêvasser. Son congé coïncidait
avec celui de son psychiatre…
Mona avait eu de petits problèmes une dizaine d’années auparavant. Son psy
avait diagnostiqué une névrose de l’échec. Depuis, grâce aux médicaments et à sa thérapie, elle avait trouvé un travail. Elle était plus stable. Mais il fallait sans cesse dissimuler cette tare à
autrui ; ce qui l’ennuyait beaucoup, la gênait. Car comment expliquer ces années perdues aux autres ? Eux penseraient qu’elle n’avait pas fait grand chose, qu’elle était bête,
paresseuse, nulle. Ça lui causait du tracas.
Elle passa par l’autoroute pour rejoindre le village où habitaient ses
parents. Elle y avait un appartement indépendant. Elle y était heureuse.
Avant son départ, son psy lui avait fait une déclaration d’amour. Elle ne
savait qu’en penser. Etait-ce un test de plus ? Que voulait-il ? Elle se disait que de toute façon, elle ne saurait jamais. .Il lui arrivait quelquefois de la mettre en d’étranges
situations où la convenance personnelle rejoignait sans doute les visées professionnelles. Ça ne lui aurait pas déplu, à elle, de l’épouser. Elle aurait eu une vie plus tranquille. Il devait bien
savoir que les rapports sexuels avec une patiente étaient interdits. Il devait bien savoir qu’elle n’était pas prête à se soumettre à ses fantasmes.
Elle avait téléphoné aux renseignements et avait découvert qu’il n’habitait
plus avec sa femme. Elle avait apprit qu’il avait divorcé. Alors ?
Depuis plusieurs jours, chaque soir, elle trouvait un bourdon mort dans son
salon, toujours au même endroit, sur le bureau. Elle les alignait pour être bien sure que ce n’était pas le même qui tombait de la table où elle les avait déposés. Elle en avait trouvé trois en
tout en trois jours. Etait-ce un signe ? Un signe de la nature pour lui indiquer qu’elle avait le bourdon ? Le bourdon de qui ? De son psy ? Elle qui dans son délire voulait
« Sauver la nature » ! C'était la Nature d'ailleurs qui lui avait appris qu'elle avait perdue la guerre contre "eux". Elle le comprit lorsque roulant au hasard avec un ami, elle
s'était arrêté au bord d'une route et avait vu des lézards. Elle n'en avait jamais vu avant et cela lui avait rappelé la série "Lézards" ou des envahisseurs - des extraterrestres-lézards portant
le masque d'humains- avaient colonisé la terre pour manger les humains comme du bétail. En effet, un mois plus tard, le traité de Maastricht fut voté, elle rata son examen et elle dut quitter son
appartement.
Quelle était la signification des coïncidences ? Le psy lui avait appris à ne
plus trop faire attention à elles. Elle les surprenait amusée.
Le lendemain elle alla au travail comme d’habitude et comme d’habitude elle se
fit harceler par la secrétaire générale. Elle n’était pas assez efficace. Elle n’était pas assez rapide. Elle devait mieux présenter ses documents. Elle faisait trop
d’erreurs.
Le vendredi soir, elle se rendit comme chaque semaine a son rendez-vous mais
quand elle sonna il n’y eut pas de réponse. Apparemment il n’était pas là. Comme le psy ne prévenait jamais lorsqu’il avait un empêchement, elle ne s’inquiéta pas.
Mais le samedi sa mère entra dans sa chambre avec le
journal :
-Lis.
Elle prit le feuillet et vit qu’il était ouvert à la page des rubriques
mortuaires. Elle lut l’annonce de la mort de J.Lance.
Alors oui, il devait abuser de l’alcool et du tabac mais il disait qu’il était
diabétique et que les médecins le trouvaient bien récemment. « Vous êtes jaune, docteur ! » lui avait-elle répondu. Il avait sourit.
« Mal soigné » lui répondit son médecin de famille quand elle eut
l’occasion de lui demander de quoi il était mort.
Elle se souvint de la première fois qu’elle était allée le voir. Elle avait
bien des ennuis alors ! Elle avait vu ce film d’Altman sur les psys et n’avait jamais voulu aller consulter alors que ça aurait pu éviter cet épisode délirant. Ses parents la croyaient
forte alors. Personne n’aurait pu prévoir.
Elle roulait en voiture la nuit et quelqu’un avait oublié un paquet de tabac
devant la vitre qui servait de guichet dans une station essence. Le guichetier lui avait dit quelle pourrait repasser boire un café la prochaine fois. Ce genre de choses ne lui arrivait
jamais.
Elle avait regardé le paquet de tabac et s’était demandé ce que ça voulait
dire. Entre temps elle avait parlé à ses parents de ce qui lui arrivait et ils avaient demandé au médecin de famille de passer.
Il lui avait demandé de consulter un psychiatre de sa connaissance, le seul
psychiatre bien qu’il connaisse.
Le jour de son rendez-vous tout s’opposa à ce qu’elle se rende chez son
psy. « Eux » ne le voulaient pas. Une femme et sa fille qu’elle avait connues étaient sur son chemin comme si elles l’attendaient. Elle se souvenait que cette femme, la mère d’une
connaissance, était psychologue. Elle choisit de ne pas s’arrêter et d’aller chez le psychiatre comme convenu avec ses parents et le médecin de famille.
Elle était entrée dans l’appartement et ça sentait très fort le tabac. Elle se
rappela le paquet vu dans la station essence. Encore un signe. Elle avait attendu dans la salle d’attente et il avait ouvert la porte du cabinet. Il était vieux et en mauvais état. Il avait une
barbe en collier et ne semblait pas très sportif. Son cabinet était assez poussiéreux comme en une fin de siècle à Vienne et il fumait la pipe.
Le fait qu’il fumât lui plut. Il lui demanda de parler, de dire tout ce
qu’elle avait en tête. Alors elle parla, elle parla de ses diplômes, de tout ce qu’elle avait fait dans sa vie, de ce qui lui était arrivé cet été là pour qu’il lui fiche la paix. Elle voulait la
paix et c’était tout ! Qu’on la laisse tranquille ! Qu’on la laisse lire, lire et fumer.
Mais cela ne lui fit pas grand effet. Il n’était nullement impressionné. Elle
avait quelques diplômes prestigieux pourtant. Il lui posa une question et lui prescrivit des médicaments. Elle demanda combien de temps elle devrait les prendre. « Oh, fit-il, un mois ou
deux ». Elle était allée chercher les médicaments à la pharmacie mais elle décida de ne pas les prendre.
Arriva le second rendez-vous. Elle attendit sagement son tour et alla dans le
cabinet. Elle parla.
Tout à coup il lui dit calmement : « Et les
médicaments ? ». Elle réfléchit puis lui dit « Je les ai pas pris ». Il sursauta et fit « Pff » de l’air de quelqu’un qu’on a estomaqué. Puis il se reprit et dit de
sa voix de bon père de famille : « Il faut les prendre ».
Elle dit « Bon d’accord » d’un air résigné et le soir elle les prit.
Ces médicaments furent terribles. Ils l’énervaient. Elle se sentait très tendue et énervée à l’intérieur, les premiers jours sa vue baissa et elle dût mettre les lunettes de sa mère mais
elle continua de les prendre. Quand elle vit le psy la fois suivante il dit :
— « Je vous trouve plus calme ».
— Plus calme ! Je me sens très énervée !
— Oui mais moi je vous trouve plus calme, plus calme…
C’était lui le médecin. En plus elle ne l’impressionnait pas. Elle décida de
prendre sur elle et d’écouter.
Plus tard il lui dira toujours « Vous le supportez bien » bien
qu’elle soit constamment fatiguée et ne pouvait rester debout plus tard que neuf heures et demie le soir.
Il lui apprit beaucoup de choses. Il l’encourageait à lire mais pas à écrire.
Décidément elle ne l’impressionnait pas. Parfois il disait « Vous comprendrez plus tard ».
Mais lui était de plus en plus mal. Sa femme disait qu’il prenait des
médicaments quand un patient l’appelait pour lui dire que son mari allait mal et dormait dans le cabinet, en face du patient.
Il buvait peut être. Pourtant un jour, elle avait fait le tour de
l’appartement pensant le trouver allongé quelque part car le cabinet était ouvert et il n’était pas là, le téléphone étant décroché. Elle n’avait vu aucune bouteille. Après elle était allée
prévenir le pharmacien que tout était ouvert avec les ordonnances à portée de main et elle était retournée dans le cabinet une dernière fois.
Un patient attendait dans la salle d’attente et il était là. Alors elle lui
avait dit les quatre vérités et il avait rigolé en agitant la main vers l’autre patient de la salle d’attente l’air de dire « Ou lala j’en prends pour mon grade, là. Elle est très en
colère. ». Il lui avait dit d’entrer. Il avait refermé la porte et lui avait dit qu’il avait laissé ouvert pour qu’elle n’ait pas à attendre dehors car il savait qu’elle venait toujours en
avance. Il était sorti manger un morceau. Maintenant il était mort.
La journée avait été très dure mais elle devait encore téléphoner au
remplaçant de son psy pour les médicaments. Elle obtint un rendez-vous trois jours plus tard.
Arrivée chez lui elle attendit son tour puis entra dans sa salle de
consultation. C’était un homme de petite taille qui avait l’air très dynamique. Il lui prescrit les médicaments et elle lui demanda s’il pouvait prendre la relève pour ses soins. Il lui dit qu’il
n’en avait pas le temps. Elle lui demanda s’il pouvait lui conseiller quelqu’un d’autre. Il avait un nom. C’est ainsi qu’elle atterrit chez le docteur Frot.
="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/2.0/fr/">
Ce/tte création est mis/e à disposition sous un contrat Creative Commons.